À la rencontre de #19 – Miguel Bonnefoy

Demain, nous retrouvons les éditions Rivages qui vous offriront plusieurs de leurs titres au format poche. À cette occasion, Miguel Bonnefoy a répondu à nos questions.

©Patrice Normand Leextra

 

Miguel Bonnefoy, vous avez reçu de nombreux prix pour vos différents romans. Comment avez-vous géré la reconnaissance rapide et unanime de la critique et du public ?

Une chose est vouloir être reconnu pour son travail, une autre est écrire pour la reconnaissance. Ce sont deux choses différentes. Pour ma part, j’ai toujours écrit dans l’ombre avant d’être publié, car j’ai le malheur de ne pas pouvoir, et ne pas savoir, faire autre chose. J’ai toujours été un rat de bibliothèque, œuvrant dans sa solitude, isolé dans des résidences d’écriture, dans des bibliothèques et des cafés, entouré d’amis loyaux et de femmes extraordinaires, pétri dans le hasard de ses mots, et qui éprouve ce que nous ressentons tous à la relecture d’un nouveau texte : la certitude du doute.    

Je ne vois Héritage que comme un début, une tentative, le commencement d’une marche. Je dois encore tout apprendre. Les membres de prix ont été généreux. Je les remercie. Les libraires m’ont donné un prix et les critiques continuent d’être favorables au texte. Je me sens baigner dans une grande gratitude. Mais je continue à travailler comme si mon prochain livre était le premier. Avec la même fraîcheur. Les fragments de mes précédents livres ne sont peut-être qu’un même fragment d’un livre à venir. Ceux qui ont parlé avant nous, dit William Ospina, se manifestent par notre expérience, et non par notre mémoire. Tout est encore à faire. Tout est à venir. Il faut garder la tête froide et les pieds de plomb. 

 

Dans Héritage, vous tissez une histoire de famille entre la France et le Chili, avec des liens sur plusieurs générations et des aller-retours entre les pays au gré des événements qui ont secoué le XXe siècle. Quelles recherches avez-vous effectuées pour vous imprégner aussi bien des différentes ambiances que vous décrivez dans votre roman ?

J’ai voyagé au Chili, à Santiago, al Cajon de Maipo, dans les vignobles du Valle Central. J’ai lu des essais, des romans, des recueils de poésie, des témoignages de la dictature, des biographies. J’ai visité des musées, des quartiers, des rues, des églises, des fabriques d’hosties, des volières. J’ai rencontré des écrivains, des historiens, des oncles éloignés, des tantes par alliance, des vieux documents familiaux  des lettres effritées par le temps. Tout cela a été ma matière romanesque. Mais il ne s’agissait pas d’en faire un essai généalogique, ou une archive du passé, ou une autofiction. J’ai choisi le roman, et en le choisissant, je prouvais déjà que je n’ai pas eu l’intention d’écrire des mémoires, mais que j’entendais au contraire faire œuvre d’écrivain, c’est-à-dire raconter une histoire où l’on puisse être libre de choisir, d’éliminer, de modifier, annexer.

 

Le voyage d’OctavioJungleSucre noir et Héritage, vos 4 derniers romans se déroulent en Amérique latine. Vous-même avez grandi au Venezuela. Envisagez-vous d’explorer d’autres géographies dans vos prochains écrits et, si oui, lesquelles ?

J’ai souhaité montrer que l’Amérique Latine est un continent-monde, un continent-atlas, un continent courageux et digne. Que ce soit le Venezuela du côté de ma mère, ou le Chili du côté de mon père, il y a pour moi le devoir littéraire de raconter une autre vision, loin des clichés et des lieux communs, sur une terre qui plante ses racines dans la beauté, la force, l’élégance, et la grandeur des peuples. Cependant, mon prochain roman ne se situera pas en Amérique latine, mais en France, plus précisément en Bourgogne. Ce n’est pas une rupture. Livre après livre, j’essaye de construire un ensemble à la fois cohérent et bigarré, unifié et ramifié, dont le ciment est la langue. J’ai quitté l’Amérique Latine le temps de ce prochain roman, non pas pour créer une fracture, mais pour souder une nouvelle pièce dans la structure fragile de l’univers que je tente de façonner.  

          

Nous invitons chaque semaine les internautes à partager leur #MardiConseil. Quel est le meilleur conseil de lecture que vous avez reçu et/ou donné ?

Lisez le livre que vous aimeriez écrire. 

Chaque début de semaine, nous posons #LaPetiteQuestionDuLundi à nos participants. La plus fameuse d’entre elles est la suivante : Avec quel personnage de la littérature voudriez-vous être coincée dans un ascenseur ? Et pourquoi ?

Dorian Gray, car être coincé dans un ascenseur avec un homme et un tableau permet de discuter avec l’un sans interrompre l’autre. 

 

Merci d’avoir pris le temps de nous répondre, Miguel Bonnefoy !